L’exécutif, les influenceurs
et ce qu’il reste d’opinion

#Sociétal

La campagne pour la prochaine élection présidentielle s’est lancée sans que le coup d’envoi n’ait retenti ; sa communication bat déjà son plein sur les canaux numériques. Pour toucher les jeunes et ouvrir opportunément des séquences politiques, l’exécutif se veut novateur et mobilise des influenceurs.

“Influenceur”, celui qui par son exposition médiatique, est capable d’influencer les habitudes des consommateurs ou des citoyens, met maintenant sa notoriété au profit d’une politique. Consciemment, ou non, éthique, ou pas ?

 

Un partenariat d’intérêt bien compris

Ces « partenariats » ne sont pas choisis au hasard et constituent une aubaine, pour le politique comme pour les influenceurs.

Pour le premier, ils lui permettent de délivrer son message à la jeunesse, d’associer cognitivement son image à des personnalités qu’elle perçoit positivement grâce à l’effet de Halo, mais également de remettre opportunément une pièce dans une machine médiatique prête à s’emballer.

C’est notamment l’objectif du Président de la République qui, en lançant le « défi geste barrière » en round 1, et en participant à « un concours d’anecdotes » avec Mcfly et Carlito (sans parler du coup de fil à Mbappé) en round 2, espère gagner la sympathie, voire la bienveillance, non seulement d’une partie des jeunes, mais de tout le corps électoral. Bien sûr, nul ne pourra mesurer la réussite de cette tentative au milieu d’une conjonction de facteurs. Il n’en demeure pas moins que depuis février, le baromètre Ifop affiche une confiance en hausse de 5 points auprès des 18-25 ans pour le chef de l’État, alors qu’elle a diminué d’un point dans l’ensemble de la population.

Enfin, pour ce qui est des influenceurs, une telle onction leur garantit un capital social grandi et une notoriété accrue, notamment par la polémique, en même temps qu’elle leur fait risquer quelques critiques venant de leur communauté ou leurs pairs.

 

Le meilleur allié du politique est apolitique

En plus de générer de la sympathie, le recours aux influenceurs offre aussi la commodité d’invisibiliser le caractère politique d’un message, celui-ci devenant difficilement réfutable. Les interventions de Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, qui se matérialisent par des simili-débats ou des lives d’une heure avec des influenceurs, parfois des enfants, sont à ce titre exemplaires. Dans la dizaine de cas où il intervient à leurs côtés, il est mis en position de pouvoir dérouler sans aucun obstacle ses arguments et autres éléments de langage. En répondant à leurs questions, il pourrait se prévaloir d’une visée informative : celle-ci est vivement contredite par sa promotion constante du bilan du gouvernement.

Les effets concrets de ses opérations resteront inquantifiables d’un point de vue scientifique. Influent-elles sur le cours de notre vie politique ? Possible, vu qu’il est démontré que notre vote n’est pas rationnel et que notre adhésion à un programme est souvent postérieure à notre bienveillance pour celui qui le porte. Le succès de cette communication serait alors ambivalent, selon qu’on éprouve de la sympathie pour ses acteurs ou que l’on en réprouve l’initiative. Participent-elles à l’exercice d’un débat démocratique basé sur des faits et des idées ? Sachant que la politique a pour vocation de faire trancher les conflits collectivement, par et pour la collectivité plutôt qu’à les faire oublier, rien n’est moins sûr.

Chloé Catanese et Robert Vanherzeeke
9 juin 2021